Interdiction de la pêche électrique : les raisons d’une polémique

19 juillet 2018 0 Par nicolasmayart

Depuis janvier dernier, la question de l’interdiction ou non de la pêche électrique fait débat au sein des institutions européennes. Très utilisée par les pêcheurs aux Pays-Bas, cette technique est néanmoins remise en question par de nombreux députés européens, mais également des ONG, en raison notamment de son impact sur l’écosystème.

Infographie pêche électrique LJ

« La pêche électrique est à l’Europe ce que la chasse « scientifique » à la baleine est aux nations qui la pratiquent : une honte », a déclaré l’ONG Bloom, spécialisée dans la défense des océans et de la pêche durable, dans un communiqué le 18 juin 2018. Alors que des pêcheurs de plusieurs pays européens se sont mobilisés ce jour-là pour protester contre la pêche électrique, le résultat des négociations qui ont eu lieu le 19 juin entre les grandes instances européennes leur a donné gain de cause. « Je félicite mes collègues pour l’adoption de cette objection avec 484 voix pour. Nous confirmons clairement la position du Parlement européen […]. La Commission européenne doit entendre ce vote sans appel émanant des représentants directs des citoyens européens », a rappelé Alain Cadec, député européen et président de la commission de la pêche.

Pour rappel, le 16 janvier 2018, les eurodéputés ont voté à une très large majorité (402 pour, 232 contre et 40 abstentions) l’interdiction de cette technique de pêche dans les mers de l’Union européenne, et la fin des dérogations octroyées notamment aux Pays-Bas par la Commission européenne. Le Parlement européen doit désormais dialoguer avec le Conseil européen pour valider ou non cette décision, qui n’en est qu’au début de son parcours législatif.

La pêche électrique est une technique qui consiste à envoyer, depuis un chalut à perche, des impulsions électriques dans et sur les fonds sableux de la mer. L’électricité attire les poissons qui vivent dans ces fonds hors de l’eau, par exemple les soles. Ils sont ensuite remontés dans le chalut. Si ce type de pêche est très largement utilisée au sein de l’UE par les Néerlandais, ses principaux instigateurs, elle est vivement critiquée par de nombreuses ONG, qui se sont réjouies de la décision du Parlement en janvier dernier et qui attendent avec impatience que cette interdiction prenne effet.

L’écosystème marin menacé

Si la pêche électrique inquiète, c’est que les effets sur le long terme des impulsions électriques restent méconnus, puisqu’il n’existe aucune véritable étude à ce propos. En 2006, des experts ont rendu un rapport à la Commission européenne expliquant que l’impact de cette pratique sur les espèces était pour l’instant inconnu, mais qu’il y avait « un certain nombre de problèmes à résoudre avant qu’une dérogation ne soit accordée ».

Malgré le flou qui entoure les résultats des études sur le sujet, de nombreuses personnalités politiques, mais aussi des pêcheurs et des associations sont massivement mobilisés contre cette pratique. Et ces inquiétudes partent d’un constat bien précis : d’après de nombreux pêcheurs, les ressources halieutiques ont chuté, comme l’a expliqué Stéphane Pinto, vice-président du comité régional des pêches des Hauts-de-France, au journal Le Monde : « Jusqu’en 2014, on débarquait du 1er janvier au 30 mai 500 à 600 tonnes de soles à Boulogne, contre 192 tonnes sur la même période cette année. Cette dégringolade a conduit à la mise à la casse de sept bateaux de fileyeurs des Hauts-de-France fin 2017 ».

Outre cette potentielle disparition des soles, les détracteurs de cette pêche estiment que les œufs, juvéniles et larves sont tués par les courants émis par les électrodes. Les poissons sont également souvent couverts d’ecchymoses et de brûlures lorsqu’ils sont remontés sur les chaluts. « Il faut absolument préserver les ressources halieutiques pour les années qui viennent. La pêche électrique est une véritable atteinte à la biodiversité », martèle même Alain Cadec, avant d’ajouter : « L’Europe est le continent avec le plus de restrictions concernant les mesures de pêche, nous sommes très organisés, mais il faut faire plus. Les pêcheurs qui utilisent cette pratique doivent modifier leur façon de faire ». Avec une interdiction rapide de ce système, les pêcheurs espèrent que le stock de poissons pourra encore se reconstituer.

Dernier sujet d’inquiétude, et pas des moindres, les opposants considèrent que la pêche traditionnelle est menacée. Pour l’ONG Bloom, les méthodes utilisées par les petits pêcheurs sont bien plus méritantes sur les plans socioéconomique et écologique, alors que la pêche électrique, destructrice, obtient plus de subventions par les pouvoirs publics. « Au fil des ans, l’épuisement du poisson le long des côtes de la mer du Nord a amené les pêcheurs traditionnels au bord du gouffre économique. »

Les arguments des pro pêche électrique

En première ligne pour défendre cette pratique, les Pays-Bas, dont l’essentiel des pêcheurs utilise aujourd’hui un matériel électrique. En 2006, à leur demande, une expérimentation a été menée pour voir si cette technique fonctionnait. Et elle a visiblement convaincu les pêcheurs du pays, d’après Carola Schouten, ministre de l’Agriculture aux Pays-Bas : « La position néerlandaise est claire : la pêche électrique, c’est l’avenir ».

D’après Amsterdam, l’impact écologique est plus faible, puisque les bateaux consommeraient moitié moins de gazole, et transporter des filets traditionnels, plus lourds, brûlerait 40 millions de litres de diesel en plus par an. Balayant les inquiétudes au sujet de la biodiversité, les Pays-Bas estiment que cette pêche préserverait les fonds marins, car elle ne racle pas le sol. Un constat partagé par Karmenu Vella, commissaire à la pêche. « Si elle est correctement contrôlée et appliquée, l’impulsion électrique peut offrir une méthode alternative de pêche plus inoffensive pour l’environnement en réduisant les prises accessoires, en réduisant les dégâts sur les fonds marins et en diminuant les émissions de CO2 », déclarait-il à Libération en janvier, après le vote du Parlement.

Sur le plan économique, cette technique, inventée en 1992 par un pêcheur néerlandais, augmente fortement le chiffre d’affaires des pêcheurs concernés. L’efficacité de la pêche est augmentée alors que le temps passé en mer est réduit.

Une histoire pleine de remous

En 1998, la pêche électrique est interdite en Europe en même temps que la pêche aux explosifs, lors de la mise en œuvre de la politique commune européenne de la pêche. Malgré tout, quelques années plus tard, en 2007, les Néerlandais obtiennent des dérogations qui leur permettent de passer outre l’interdiction. La réglementation ouvre ainsi la possibilité à chaque État membre de l’Union européenne d’équiper en électrodes jusqu’à 5 % de sa flotte de chalutiers.

Les Néerlandais ont transgressé ces dérogations en équipant 84 chalutiers au lieu de 15, et ce sans autorisation légale. C’est ce qui a amené, entre autres, l’ONG Bloom à déposer une plainte contre les Pays-Bas en octobre 2017 pour non respect de la législation. Bloom a aussi relevé que les chaluts néerlandais avait employé des tensions électriques entre 40 et 60 volts, alors que la tension réglementaire est de 15 volts.

Bien que l’interdiction de la pêche électrique ait été votée par le Parlement européen en janvier, la suite des événements reste encore floue. En effet, des négociations sont en cours entre les instances européennes et, pour l’instant, il n’a pas été clairement arrêté que l’interdiction de la pêche électrique serait totale, malgré un nouveau vote pour l’interdiction le 19 juin qui vient confirmer celui de janvier.
En France, la totalité de l’Assemblée nationale soutient le gouvernement pour l’interdiction de cette technique, comme l’a rappelé Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, dans un tweet.

Si tout se passe comme prévu, il faudra que des solutions soient trouvées pour aider les pêcheurs qui utilisent les électrodes à modifier leur façon de travailler, souligne Alain Cadec, « il faudra mettre en place des moyens pour permettre la transition de la pêche électrique vers la pêche traditionnelle ».

Et à l’étranger ?

La Chine, le Brésil ou encore les États-Unis ont déjà interdit la pêche électrique dans leurs eaux. Dans les années 1980-1990, cette technique était très utilisée dans la mer de Chine pour la pêche à la crevette. Après une dizaine d’années d’utilisation, elle a fini par être interdite, en 1999 à Hong Kong et en Chine en 2000. Les autorités ont estimé qu’elle causait trop de dégâts, notamment sur l’écosystème marin.

L’Union européenne suivra peut-être la Chine. En attendant, et jusqu’à ce que la nouvelle législation prenne effet, les Néerlandais peuvent continuer à utiliser les électrodes depuis leurs chaluts…

Cassandre Leray

 


Durant ce séjour, les étudiants lannionnais ont rencontré Alain Cadec, député européen (LR) et membre de la commission de la pêche du Parlement européen.

Noé Couture
a fait un résumé de l’intervention de l’homme politique :